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    "Katryn, je suis désolé... C'est Ophélie..."

    "Il va falloir que tu me suives."

    "Il faut un membre de la famille pour reconnaître le corps..."

    "Rien ne t'y oblige Kat'..."

    "Katryn ?"

    Déconnectée de la réalité, Katryn n'écoutait plus un mot que prononçait son meilleur ami. Dès l'instant où il lui a demandé de le suivre, elle s'est contentée de changer de pantalon et de mettre une paire de bottines. Les premières paroles d'Aiden tournait en boucle dans sa tête, et la jeune femme espérait qu'ils n'arriveraient jamais à destination. Elle n'arrivait pas à comprendre ce qui pouvait bien lui arriver. Cela lui semblait irréaliste et improbable. Il était impossible qu'Aiden ait raison. Il ne pouvait que se tromper ! Il était parfaitement possible qu'il ait confondu sa sœur avec une autre jeune fille rousse du même âge. Ce n'était pas ce qui manquait après tout. Et après avoir passé plusieurs heures dans l'eau, la confusion était possible, et elle se ferait une joie de démentir ses affirmations ! 

    Il n'était pas possible que sa petite sœur de 19 ans ne soit plus parmi eux ! Non, pas Ophélie, cette jeune fille si joyeuse et pleine de vie, dont l'avenir ne pouvait qu'être brillant ! 

    C'était ce dont était persuadée Katryn, même lorsqu'elle foula le sol de la morgue en compagnie de son ami policier, affrontant les regards compatissants des employés. Tous savaient pourquoi elle était là, et tous parvenait à lire le déni sur le visage de la jeune femme. 

    Tous savaient qu'il ne s'agissait plus que d'une question de minutes avant que ses derniers espoirs ne volent en éclats, que son coeur se brise, que le chagrin s'empare d'elle pour lui faire subir la douleur de la perte tragique d'un proche. 

    Quelques minutes avant que la cruelle réalité de la vie ne s'abattent sur elle. 

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    Une fois devant la porte de la salle d'autopsie, Aiden sembla hésité. Il scruta le visage de son amie avec inquiétude, tout en s'efforçant de rester calme et impassible. Il connaissait son histoire, il aimerait tellement lui épargner cette épreuve. Il voyait bien qu'elle niait la réalité et que la chute n'en serait que plus rude, il voudrait que les choses soient différentes. Néanmoins, il savait qu'il n'avait pas le choix. Il fallait quelqu'un pour reconnaître le corps. Il fallait que son amie affronte la réalité. Il n'y avait pas d'autres solutions. 

    -Tu es sûre de vouloir faire ça Kat' ? Rien ne t'y oblige. Demanda-t-il une nouvelle fois, tentant de contenir sa nervosité. Il craignait la suite des événements. Lui-même avait été chamboulé lorsqu'il était arrivé sur le lieu de la découverte du corps. Lui-même avait eu besoin d'un moment pour souffler, un moment extérioriser son désarroi et sa colère. Il avait été tellement déboussolé que son équipier, Austin Fadmer, s'était proposé d'aller voir Katryn à sa place. Mais il n'avait pu accepter. Katryn était son amie, c'était son rôle à lui d'aller lui parler. 

    Katryn hocha la tête, sans prononcer le moindre mot, conservant son mutisme depuis qu'il était venu la chercher. Elle semblait ailleurs. Plus elle approchait du pire moment de sa vie, puis elle essayait de se persuader qu'elle était dans un mauvais rêve. 

    Elle ne pouvait pas être dans une morgue pour reconnaître le corps de sa sœur. 

    Sa sœur ne pouvait pas être décédée. 

    Tout cela ne pouvait être réel. 

    La petite voix dans sa tête ne pouvait pas avoir raison. 

    Sa sœur allait l'appeler pour aller faire du shopping. 

    Rien de tout cela ne pouvait être réel. 

    Elle avait déjà perdu son père. Puis sa mère. Elle ne pouvait pas en plus perdre sa sœur.

    Peu importe ce que disent les autres, tout cela ne pouvait être vrai, elle allait forcément se réveiller !  

     

     

     


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    Aiden soupira, puis ouvrit la porte de la salle et laissa Katryn entrer la première. Cette dernière vit tout d'abord les tiroirs où étaient stockés les corps le long du mur en face d'elle. Elle vit ensuite le médecin légiste, un homme d'une cinquantaine d'année portant des lunettes légèrement de travers, qui salua sobrement son ami, puis elle, mais elle ne répondit pas. Son regard se posa sur son bureau qui était bien rangé, avec un vieil ordinateur et une pile de dossiers qui n'attendaient que d'être traité par le médecin. 

    Enfin, ses yeux se posèrent sur une table, sur lequel reposait un corps dissimulé sous une couverture blanche. Son visage afficha une grimace, son coeur se serra. Elle se sentit soudainement mal à l'aise. Elle ignorait les mots échangés entre le médecin et Aiden. Elle ne fit pas attention que son ami lui prit la main pour la soutenir. Elle ne vit pas qu'il hocha la tête, et que le médecin, non sans lui jeter un regard inquiet et compatissant, souleva le drap pour simplement découvrir le visage de la victime. 

    Aussitôt, les yeux bleus de Katryn se remplirent de larmes. Son coeur au bord de l'implosion de se briser. Elle se sentit défaillir. La tête lui tournait. 

    Son monde était en train de s'effondrer tout autour d'elle. 

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    Elle fixait le visage calme, posée, de la jeune fille sur la table d'autopsie. Un visage pâle parsemé de traces d'hématomes et de griffures, affichant des lèvres bleutés par le froid et l'absence de circulation sanguine. Un visage pâle encadré par de longs cheveux roux encore humides. Un cou qui affichait des bleus, marques d'une tentative de strangulation. 

    Un visage qui semblait presque endormi, mais qui affichait le passage de la fourche.

    Un visage que Katryn reconnaîtrait entre milles.

    Un visage semblable au sien.  

    Celui de sa petite sœur. 

     


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    -O..Ophélie... Bredouilla Katryn, qui réalisait petit à petit l'injustice de la vie. C'est Ophélie... Ophélie... 

    Ophélie Hannigan, jeune fille de 19 ans pleine de rêves et d'espoirs qui avait toute la vie devant elle, était aujourd'hui allongée sur une table d'autopsie. Ophélie Hannigan n'était plus qu'un corps sans vie, dont l'avenir n'était plus. Ophélie Hannigan venait d'atteindre le point final de son histoire. 

    Ophélie Hannigan qui avait été toujours préservée au maximum par sa sœur aînée venait de quitter le monde des vivants pour celui des morts sans avoir rien connu. Elle qui rêvait de devenir chanteuse. Elle qui était amoureuse. Elle qui aimait sa sœur plus que tout. 

    Elle, Ophélie Hannigan, que Katryn s'était promise de protéger envers et contre tout, venait de voir son avenir rayé de la carte.

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    -Oh mon dieu, Ophélie... Non... Non... Ophélie... Ce n'est pas possible... Ophélie... 

    Plus jamais ses yeux ne s'ouvriront. Plus jamais elle ne rira. Plus jamais elle sourira. Plus jamais elle rêvera. Plus jamais elle ne sera là. Plus jamais elle ne dansera. Plus jamais elle ne chantera. 

    Plus jamais elle ne sera quelqu'un.

    Hier encore, Ophélie Hannigan était une personne avec l'avenir devant elle.

    Aujourd'hui, Ophélie Hannigan n'était plus qu'un esprit parti chanter chez les anges. Elle n'était plus que ce qu'elle ne sera jamais. 

    Ophélie ne sera jamais chanteuse. Ophélie ne deviendra jamais une femme active. Ophélie ne sera jamais une tante. Ophélie ne sera jamais mariée. Ophélie n'aura jamais d'enfants. Ophélie ne vieillira jamais. Ophélie ne deviendra jamais une vieille dame. Ophélie ne gâtera jamais ses petits-enfants. 

    Ophélie ne sera jamais plus vivante. 

    Ophélie ne sera plus jamais présente, parmi ses proches. Jamais plus. 

    -Non... Non... Ophélie ... OPHÉLIE ! Hurla subitement Katryn dont le coeur se brisait en milles morceaux, lacérant sa poitrine au plus profond de son être. 

    Son père... Sa mère... et maintenant sa sœur ! 

    Anéantie, détruite, Katryn ne pouvait plus se tenir là, devant le corps sans vie de sa sœur. Elle ne pouvait plus, affrontée le visage impassible de la mort. Elle fit aussitôt demi-tour, et s'enfuit à toutes jambes de la morgue, ignorant les protestations et les appels de son meilleur ami. 

    Il fallait qu'elle parte. Il fallait qu'elle s'en aille. 

    Loin... Loin de tout ça. Loin de la réalité. Loin de la mort. Loin du chagrin. 

    Loin du visage sans vie de sa sœur qui s'imprimait doucement mais sûrement dans son esprit. 


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    Courir... Katryn ne faisait plus que cela. Se faufilant entre les passants, elle ignora leurs protestations insignifiantes. Elle ignora les regards curieux des inconnus. Elle ignora leurs interrogations.

    Courir... Elle n'avait plus que cela à faire. Ses jambes, ses poumons, son corps la faisait souffrir. Elle avait besoin d'air.

    Courir... Il fallait qu'elle s'arrête. Mais elle ne pouvait pas. Il fallait qu'elle continue d'avancer sans relâcher.

    Courir... S'arrêter serait comme abdiquer. S'arrêter serait accepter d'affronter en pleine face la réalité. S'arrêter serait abandonner la lutte contre le refus d'y croire. Abandonner les armes contre la douleur. La laisser s'emparer d'elle pour ne plus la lâcher. La laisser s'accrocher à elle comme une moule à son rocher. La laisser la submerger et la noyer. La laisser la détruire. La laisser la ronger par le manque de sa petite sœur.

    Sa petite sœur, si jeune, si joyeuse, qui avait la vie devant elle...

    Une vie qu'elle n'avait dorénavant plus !

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    Comment la vie pouvait-elle être ainsi ? Comment pouvait-on accorder la vie, si au final elle s'enfuit avant d'avoir eu le temps de véritablement vivre ? Pourquoi Ophélie devait-elle partir alors qu'un monstre tel que le Chasseur continuait de vivre paisiblement en liberté ?

    Pourquoi Ophélie au lieu du Chasseur ?

    Pourquoi elle plutôt que lui ?

    Pourquoi elle qui n'avait jamais de mal à personne plutôt que celui qui brisait des vies ?

    Quitte à prendre une vie, autant prendre celle de celui qui ne la mérite pas !

    Pourquoi tant d'injustice ? Pourquoi sa sœur ? Pourquoi pas ce monstre qui se mettait maintenant à tuer ?

    La vie lui avait pris son père, puis sa mère... Et maintenant sa sœur ! Pourquoi s'acharnait-elle ? Pourquoi lui prendre toute sa famille ?

    Qu'avait-elle fait de mal ? Elle avait promis de la protéger envers et contre tout... Elle avait fait tant de sacrifices pour elle ! Elle avait vendu son âme pour elle, en dépit de la justice !

    Et voilà qu'aujourd'hui, elle n'avait plus rien... De sa famille, il n'en restait plus que des cendres ....

     

      


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    Courir.... Il fallait qu'elle continue, mais elle n'en pouvait plus. Cela devenait au-dessus de ses forces. Ses genoux flanchèrent. Elle tomba au sol, juste en face d'un étang. Désespérée, Katryn fut incapable de se relever. A genoux sur l'herbe, elle tenta de garder ses esprits, de ne pas sombrer dans la folie du chagrin et du profond sentiment d'injustice. Sa tête lui faisait mal, sa tête lui tournait. Sa vue se brouilla. Les larmes se déversèrent sur ses joues sans qu'elle ne puisse les contenir. Un trou béant dans sa poitrine se formait, sans que rien ne puisse l'en empêcher. Elle se recroquevilla sur elle-même, pleurant à chaudes larmes la sœur qu'elle s'était promis de protéger mais qui s'en était allée ailleurs.  

    La vie était décidément une cruelle mascarade, bonne qu'à enfoncer de profonds coups de poignards dans le dos, dans le coeur et dans l'âme. 

    -Katryn ?! S'étonna brusquement une voix venue d'ailleurs, tandis qu'une main la prit par le bras pour la forcer à se lever. 

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    Telle une marionnette, insensible au monde qui l'entoure, Katryn se laissa faire. Sourde à son environnement, elle ne reconnut pas la voix de son interlocuteur qui tentait d'attirer son attention. La tête baissée, Katryn ne comprenait pas ce qui se passait. La voix insista, encore et encore, ramenant dans le monde réelle la jeune femme, qui se résigna à se tenir droite. Elle reconnut sans trop de peine son nouvel assistant, Carson, qui la regardait avec curiosité, même si elle parvenait à percevoir de l'inquiétude dans ses yeux verts. 

    -Carson ? Qu'est-ce que vous faites ici ? L'interrogea-t-elle avec une voix cassée, mal assurée, peu convaincante. En vérité, elle se fichait bien du fait que leur route venait de se croiser. 

    -On est à côté de l'agence, j'allais retourner bosser pour l'ouverture de cette après-midi. L'informa-t-il en fronçant les sourcils. Katryn, que se passe-t-il ? 

    -Ma sœur est... Ma sœur est ... Bredouilla-t-elle, les mots refusant de franchir le barrage de ses lèvres. 

    Dire la réalité à voix haute ne ferait que la rendre encore plus réelle. La dire à voix haute serait comme l'accepter comme fait avérée, inéluctable, définitivement irréversible. 

    Le confort du déni ne serait plus possible. 

    Elle ne pourrait plus reculer pour finalement mieux sauter plus tard ... 

     

     

     

     


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