• De la Terre au Ciel (3)

    Je marche doucement dans la rue. J'ai tout mon temps. Les gens ne font pas attention à moi, puisqu'ils ne me voient pas, et ne me verront jamais. Je ne sais pas où aller pour tenter d'obtenir des réponses. Au fond, je sais que Greg ne pourra pas m'en apprendre davantage. Il sait juste que j'ai quinze ans. Mais connaître l'âge que j'avais ne m'apporte pas grand chose. Cela ne me dit pas qui j'étais.

    Je vais dans un parc, qui est magnifique d'ailleurs. Je m'assois sur un banc, même si je n'en ressens pas le besoin. Je regarde les gens qui se promènent, les parents qui jouent avec leurs enfants. Je me demande qui étaient d'ailleurs, mes parents. Ceux grâce à qui j'ai connu la vie avant qu'elle ne me soit arrachée. Oui, je me demande qui ils sont. Peut-être le saurai-je un jour, peut-être pas.

    Mon attention se porte soudain sur une femme. Ses cheveux sont mal attachés, quelques mèches lui retombant sur le visage, elle est encombrée de quelques pochettes remplies de feuilles dont quelques unes s'en échappent, et d'un sandwich dont elle avale quelques bouchées quand ses feuilles ne prennent pas la poudre d'escampette. Elle s'installe sur un banc, non loin d'une splendide fontaine dont l'eau qui s'écoule scintille aux rayons du soleil. Elle pose ses dossiers à côté d'elle et se dépêche de manger ce qui lui sert de déjeuner. Un homme arrive derrière elle, et il ne la quitte pas des yeux. Il s'approche à pas de loup, pour ne pas se faire remarquer.

     -Devine qui c'est ! S'écrie-t-il en lui masquant les yeux avec ses mains. Prise par surprise, elle lâche son rapide repas sur ses genoux en poussant un petit cri. Il rit, fier de sa farce, tandis qu'elle râle en constatant sur son pantalon une petite tâche de mayonnaise.

    -Abruti !! Je retourne travailler après ! Je vais avoir l'air fin !

    -Calme ! Ce n'est pas un drame non plus ! S'exclame-t-il, en riant joyeusement.

    -Dixit celui qui bosse à son compte dans la poussière !! Râle-t-elle.

    -Attends, je vais t'aider. Lui dit-il, tout en sortant un mouchoir de sa poche pour enlever le plus gros de la tâche.

     Elle ne lui répond rien, et se laisse faire, bien que l'agacement est visible dans ses gestes et sur son visage. Elle soupire, lasse, et l'homme lève la tête vers elle, inquiet. Ils sont tous les deux jeunes, et ils doivent avoir approximativement le même âge, ce qui explique qu'ils sont certainement très proches.

     -Pardon pour ton pantalon. S'excuse-t-il finalement, l'air penaud.

    -Ce n'est rien... Je sais que tu te réfugies dans l'humour, les blagues pourries quand...

     Elle ne continue pas sa phrase, la laissant en suspens. Pourtant, son ami comprend parfaitement la suite, et son visage s'assombrit. Le sourire qu'il affichait, disparaît aussi rapidement qu'il est venu. Il baisse la tête, attristé.

     -Je suis désolée.

    -Ce n'est pas de ta faute. Souffle-t-il.

    -Comment va Tiphanie ?

    -Comment veux-tu qu'elle aille. Hausse-t-il les épaules. Elle est persuadée que c'est de sa faute. Ce n'est pas le cas, pourtant elle ne cesse de l'affirmer.

     Il ne dit plus rien, et elle ne répond rien non plus. La jeune femme pose son sandwich et passe son bras autour des épaules de son ami, qui est abattu.

     -Cela fait une semaine... Pourtant je n'arrive pas à m'enlever l'image de son visage sans vie de ma tête ! Je la revois encore pédaler à toute vitesse sur son vélo tandis que je lui courrais après. Je revoies la voiture la percuter. Je la revoies par terre... étaler par terre... Sans vie... Morte... Elle qui était si pleine de vie...

    -Je sais que tu étais proche d'elle... Mais elle n'aurait pas aimer que toi, ainsi que sa famille soyez tristes...

    -Elle avait quinze ans, tu te rends compte ? Dire qu'elle avait encore plein de choses à découvrir... C'est trop jeune...

    -Je sais Mick', je sais.

     Ils ne disent plus rien. Lui, ne désire que se réfugier dans ses souvenirs avec cette adolescente partie trop tôt, elle, respecte son silence. Que peut-elle faire de toute façon ?

     -Je... Je dois retourner travailler...

    -D'accord... Je... Je vais y aller aussi...

     Ils restent encore quelques minutes sur le banc, sans faire un quelconque geste. Rien faire, juste se remémorer des moments passés, qui ne pourront être renouveler avec la jeune disparue. Le silence devient de plus en plus pesant, mais aucune des deux personnes ne semblent vouloir changer cela, comme si c'est dans l'ordre des choses. La jeune femme se tourne vers son ami, un air compatissant sur le visage. Elle a de la peine pour lui, pour cette fille qui n'est plus et qu'elle ne connaissait que par le biais du prénommé Mick'. Et pourtant, aujourd'hui, maintenant qu'elle n'est plus là, elle aurait aimé la connaître, cette adolescente apparemment pleine de vie. Elle n'ose pas imaginer la peine des parents, des proches de la malheureuse victime. Elle laisse un soupir s'échapper de ses lèvres, et pose sa main gauche sur l'épaule de son ami. Il regarde cette main, mais ne dit rien. Non, il n'a pas envie de parler. Que dire de toute façon. Rien ne sert de discuter. Aucun mot ne pourra remplacer ce qui a été perdu. Seul le bruissement des feuilles, le chant des oiseaux perturbent le silence des deux amis, ou bien lui donne un caractère plus paisible. Mick' fixe un point invisible devant lui, sans vraiment le regarder. Aujourd'hui encore, il a du mal à croire en sa disparition. Cependant, il espère de tout son coeur qu'elle trouve la paix, et qu'elle est heureuse, où qu'elle soit.

     -Je dois y aller. Tiphanie a besoin de moi. Murmure-t-il.

     Il se lève sans attendre de réponse. Il ne veut pas entendre un nouveau " je suis désolée" , il ne pourra pas le supporter. Il s'en va, les mains dans les poches, la tête baissée, la tristesse peint sur le visage. Son amie, quant à elle, reste sur le banc, le regardant partir. Elle a de la peine pour lui, et le voir aussi chagriné lui fait mal. Cette jeune femme n'a jamais supporté que ceux qu'elle aime soient tristes. Elle regarde sa montre, lasse, et fait les yeux ronds de surprise. Un juron s'échappe, elle se lève à son tour et part en courant.

    Cette scène m'a paru durer une éternité, tellement elle me faisait mal. J'avais envie de leur hurler que je suis là, devant eux, que je vais bien, mais que l'ignorance de mon identité m'empêche de trouver la paix. Mais, ils ne m'auraient pas entendu. Ils ne peuvent pas me voir, ni cette femme, ni Mickaël. J'ai envie de le suivre, mais quelque chose me dit que si je le fais, je ne verrai que du chagrin, et je ne peux le supporter.

    Je me lève, et je me balade dans le parc. Les gens partent, petit à petit, laissant un parc désert. Vide. Les oiseaux ne chantent plus. Le vent cesse de souffler. Comme si tout était mort. Je reste au milieu d'un chemin et regarde le décor autour de moi. Il n'y a rien, à part des arbres, des bancs, de la terre, de l'herbe, des fleurs, une fontaine. Mais sinon, il n'y a rien. Juste ça, et le silence. Je me sens seule. J'aimerai aller autre part, et pouvoir parler à des gens, et ne plus être seule. Suis-je condamnée à l'éternelle solitude ? Mais qu'ai-je fait alors pour mériter cela ? Je l'ignore, mais je voudrais le savoir. Pour avoir une idée de là où je dois aller.

     


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