• Deuxième Partie

    Je n'ai jamais réellement aimé ma mère. Non pas que je la détestais, mais je ne l'aimais pas. Je ne saurais pas expliqué pourquoi. Avant, elle était une maman modèle. Elle s'occupait beaucoup de moi, comme si elle avait peur de me perdre si elle ne le faisait pas. Elle voulait être là pour moi, me voir illuminer ses journées par un sourire innocent rempli de joie, entendre mon rire léger de petite fille. Comme toutes les mères, elle souhaitait que je sois heureuse, s'imaginant un brillant avenir devant moi. Je suis sûre qu'elle devait rêver que je devienne une incroyable chirurgienne qui sauvent chaque jour des vies, ou même une avocate juste qui défend les victimes d'injustice. Ceci, tout en étant mariée à l'archétype du prince charmant des temps modernes. Avant, elle était comme toutes les mamans. Avant. Avant que mon père s'en aille. Avec sa secrétaire. Cliché, je sais, un notaire qui quitte sa femme pour sa petite collègue de travail plus jeune que lui. Mais c'est ainsi que cela s'est passé. Je le voyais de temps en temps, avec sa pimbêche blonde qui avait plus d'atouts physiques que d'intelligence. Mais il passait plus de temps à lui faire la cour et à la bécoter, qu'à s'occuper de moi. Je ne l'ai jamais aimé, sa grognasse avec son rire d'imbécile sans cervelle. Elle m'a enlevé mon père, et a privé ma mère d'un bonheur qu'elle méritait. A cause d'elle, ma mère a plongé très vite dans l'alcool pour oublier. Dans le whisky surtout. La boisson préférée de mon père. Comme par hasard. C'est assez paradoxale d'ailleurs, au sens courant je veux dire. Elle voulait oublier son ex-mari, et elle se soûle avec son breuvage favori. Puis, elle a été virée. Et elle s'est trouvée un autre boulot, beaucoup moins bien que l'ancien. Un boulot qu'elle n'aimait pas, avec des collègues ingrats. Mais, comme elle me l'a si souvent répété, la vie n'est pas gratuite. Je crois bien que c'est le dernier acte maternel qu'elle a fait. Se sacrifier pour moi. Mais ma mère est vite partie, laissant place à un corps déambulant dans l'existence avec pour seul carburant le whisky et le désespoir.

    Quant à moi, j'ai assisté à tout cela. Sans pouvoir rien faire. Je n'étais qu'une gamine à l'époque, et je me disais que cela ne pouvait pas être si grave. Que le lendemain serait plus ensoleillé. Que maman serait de nouveau heureuse. Je n'étais qu'une gamine, et j'étais bien naïve. Je ne comprenais rien. Je me demandais qui était cette pimbêche blonde à gros seins qui faisait des bisous et les yeux doux à mon père, alors que ce n'était pas ma mère. Je me demandais pourquoi maman était si triste, et pourquoi je ne pouvais rien faire pour la faire sourire. J'étais petite, et j'ai vu la dégénérescence de ma propre mère. Sa transformation en une parfaite inconnue qui passe son temps à boire. En grandissant, j'ai fini par comprendre. Et malgré la plus grande compassion du monde, il m'était impossible de l'aimer, cette loque de femme. Ce n'était pas ma mère. Ce n'était plus ma maman. Cependant, j'ai refusé d'en parler à qui que ce soit, faisant tout mon possible pour que personne ne soit au courant de la dépression de ma mère. Je m'arrangeais pour que ce soit mon père qui aille à mes réunions parents/professeurs. Et lorsqu'il est parti aux États-Unis avec sa grosse, je mentais, je disais aux profs qu'elle était en voyage d'affaire, ou bien qu'elle travaillait tard. Ça a toujours fonctionné. Ils n'y ont vu que du feu. D'autant plus qu'avec le temps, j'ai réussi à m'inventer un rôle, celle de la petite fille modèle qui a une vie de rêve. Tout le monde y croyait. Tout le monde est tombé dans le panneau. La vérité, personne ne s'en doutait. Je n'avais pas honte. Mais je savais que si cela venait à se savoir, on risquerait de m'enlever à ma mère pour me confier à mon père ou à quelqu'un d'autre. Des gens sensés ne laissent pas une enfant sous la responsabilité d'une alcoolique colérique. C'est bien trop dangereux. Mais pourtant, la seule chose qui motive ma mère à se lever le matin, c'est bien moi. Si on venait m'enlever à elle, la pauvre n'y survivrait pas. J'en avais bien conscience, et c'est bien pour cela que je gardais tout secret. J'étais une effroyable menteuse. Je voulais protéger ma mère. Celle qui m'a mise au monde. Parce que, même si elle n'était plus un modèle à suivre pour les jeunes mamans, elle restait ma mère. Même si elle n'était plus qu'un cadavre ambulant. C'était ma mère.

    Mais le quotidien à la maison devenait de plus en plus insupportable. Elle gueulait tout le temps. Après la mondialisation et le capitalisme. Après les hommes politiques. Après son patron. Après les voisins. Après moi. Tout le temps. Pour tout et n'importe quoi. Je l'entendais de ma chambre, à l'étage, la porte fermé avec la radio allumée. Et je ne pouvais rien faire, à part mettre toutes les chances de mon côté pour avoir l'avenir dont elle rêvait. Je travaillais à l'école, et j'avais de bonnes notes. Je passais des heures entières dans ma chambre, à faire mes devoirs et à apprendre mes leçons. Et les résultats étaient là. Mais ma mère ne disait rien. A croire qu'elle s'en fichait. Mais je continuais de travailler, m'octroyant très peu, voire pas du tout, de loisirs. Je n'avais pas d'ami, et c'était tant mieux. Comme ça, personne ne pourrait deviner quoique ce soit. Comme ça, je pouvais rester avec ma mère. Elle était ainsi, ma vie. Avant.

    Parce qu'ensuite, j'ai rencontré mon ange blond. Il est venu à moi, alors que je rentrais de cours. Au début, j'ai essayé de l'ignorer. Puis, j'ai accepté de lui répondre. Nous avons sympathisé. Nous sommes devenus amis. Et enfin, nous nous sommes mis ensemble. Il rendait mes journées plus belles. Il était comme mes sourires quand j'étais petite. Plus le temps passait, plus j'avais besoin de lui. Il est devenu comme une drogue. J'avais besoin de ma dose quotidienne, et il était toujours là. J'étais devenu dépendante de lui. Totalement. Je ne pouvais plus vivre sans lui. Grâce à lui, mes journées étaient supportables. Je passais moins de temps à travailler, et je l'utilisais pour être avec lui. Je me vidais le coeur avec lui. Et je me sentais plus légère. Il ne disait rien, il se contentait de m'écouter. Il était tout ce dont j'avais besoin. Mon ange blond est devenu la base même de mon existence. Quelqu'un aurait découvert les problèmes de ma mère que cela ne m'aurait fait ni chaud ni froid. Du moment que j'étais avec mon ange blond. Avec lui, je n'étais plus la malheureuse adolescente qui se sacrifie pour que sa mère continue à rester debout. Avec lui, j'étais enfin entière, pleinement heureuse. Je l'avais trouvé, mon prince charmant des temps modernes.

    Je haïssais la pimbêche blonde de mon père. Je détestais mon père. Ils étaient le commencement de la chute aux enfers de ma mère.

    Mais j'aimais mon ange blond, et cela m'était amplement suffisant.

      

    Bordel, si j'avais su ….

     

     


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